L’après-crise sanitaire : changement ? ou retour à la normale ?

« Après la crise, rien ne sera plus comme avant », clament des politiques de tous bords, des militants, des chefs d’entreprise, des universitaires, …

Alors que l’Etat va mettre au pot des sommes considérables pour contrer les effets de la crise sanitaire – 204 milliards d’euros en 2020 selon notre estimation – un plan de relance qui réduirait la production de biens dans l’industrie, au bénéfice du secteur des biens communs est nécessaire ?

Au-delà des 204 milliards engagés en 2020, ce plan de relance nécessite

  1. d’investir plusieurs centaines de milliards d’€ pour développer les activités productrices de biens communs et reconvertir une partie des salariés de l’industrie,
  2. de compenser une perte de productivité atteignant 110 milliards par an comme on le montre ci-après.

Si nous voulons réaliser la transition écologique, il faut réduire fortement nos dépenses de consommation privée et transférer les sommes correspondantes vers le financement et la production de biens communs. Il s’agit d’un changement sociétal majeur, dans lequel l’individualisme du consommateur est remplacé par le choix de mettre en commun les biens et des services nous permettant de vivre et de nous protéger, aujourd’hui et pour les générations à venir.

Mais les signes s’accumulent montrant que la plus forte probabilité est que tout redevienne comme avant !

Le gouvernement US met à la disposition des compagnies aériennes 50 milliards de $, moitié en subvention, moitié en prêts. Elles contribuent à 12% des émissions de CO2 par le secteur du transport.

Hier, face à une chute de la production du Royaume-Uni de 35% au second trimestre, sans précédent depuis un siècle (cf graphique du Guardian), le chancelier anglais, Rishi Sunak déclare que le seul moyen de sortir de cette dépression est de relancer la croissance.

Dans la crise sanitaire actuelle, l’insuffisance de PIB coûte à la France 68 milliards d’Euros chaque mois. Si au final le confinement dure 3 mois, le coût pour le pays atteindra 204 milliards d’euros, en grande partie payés par l’Etat, c’est-à-dire par les français, qui viendront s’ajouter à la dette publique. A noter que pendant cette période, l’investissement (près de 18 milliards par mois) est à l’arrêt.

Suivant ces hypothèses, le PIB annuel sera en diminution de près de 10% en 2020, la pire récession depuis la seconde guerre mondiale.

Certains accusent nos gouvernements de ne pas avoir préparé nos pays à une crise. Mais nous sommes tous coupables de pousser ces mêmes gouvernements à être court-termistes ! Nous les avons élus, après quoi nous sanctionnons ceux qui voient plus loin que le bout de leur nez.

L’affaire de la « cagnotte » (surplus fiscal) en 2000 et le Bachelot-bashing de 2010 (elle avait commandé 2 milliards de masques de protection) en témoignent, et aussi 45 ans de budgets successifs en déficit : ces déficits ont-ils été utilisés pour investir dans l’avenir ? non, ils ont financé la consommation du moment.

La sagesse conventionnelle nous dit qu’il est peu probable que les résolutions que nous prenons sous la pression de la crise sanitaire et économique seront mises en application lorsque cette pression aura disparue. Le matin du déconfinement et du retour au travail, on se déconnectera de la nature, on laissera le Zen de côté, on foncera le soir au café ou au restaurant (s’ils sont ouverts). Les parents seront heureux de sortir de cette vie avec les enfants en H24, à laquelle ils ne sont pas habitués.

Et aussi, le coût faramineux de la crise économico-sanitaire : va-t-il tuer dans l’œuf l’investissement dans la transition écologique ?

Pour tenter de répondre à cette question, nous avons classé la production des branches d’activité du pays en trois ensembles (voir tableau détaillant ces 3 groupes en bas de cet article) :

  1. Biens communs : Production de biens et services communs (10,7 millions de salariés temps plein)
  2. Services : services aux entreprises et aux individus (8 millions de salariés)
  3. Industrie : industrie et construction (7,4 millions de salariés)

Le secteur des biens communs est celui qu’il faut développer pour le bien de tous. Le secteur des services est moins consommateur de ressources naturelles, il est nécessaire à notre « vivre ensemble ». L’industrie est la plus consommatrice de ressources et génératrice de pollution, elle pourrait produire moins de biens matériels, ceux considérés comme non nécessaires à notre bonheur.

La conclusion simple est qu’il faut réduire la production de l’industrie, et accroître en proportion la production des biens communs.

Aujourd’hui la moitié du secteur de l’industrie est stoppée, grosso modo 3,7 millions de travailleurs sont en arrêt. Si on parvenait à reconvertir les salariés de l’industrie vers les métiers des biens communs, on aurait plus de travailleurs produisant des biens et services plus utiles à tous

Mais … le problème est que l’industrie a une « productivité » horaire très supérieure (62,70 € par heure travaillée) à celle des biens communs (44,61 € par heure travaillée). Les 3,7 millions de salariés à reconvertir produisent 6,1 milliards d’heures de travail par an. En passant de l’industrie aux biens communs, on perd en productivité 18,09 € par heure, soit 110 milliards d’euros chaque année.

Or c’est la productivité qui génère les sommes permettant de payer les cotisations sociales, les impôts, les investissements, et (pour une part bien inférieure aux précédentes) les bénéfices.

Le plan de relance devrait avoir pour but de réduire la production de biens et l’emploi dans l’industrie, et d’accroître en proportion l’emploi et la production de biens communs, coûterait deux fois : en investissement, pour développer les activités productrices de biens communs et reconvertir les salariés ; en fonctionnement, avec une perte de productivité atteignant 110 milliards d’€ par an.

Il s’agit d’un changement sociétal majeur, dans lequel l’individualisme consommateur est remplacé par la mise en commun des biens et des services nous permettant de vivre et de nous protéger, aujourd’hui et pour les générations à venir.

Pour aller plus loin dans cette réflexion, il nous faut approfondir la notion de biens communs et identifier les activités qui les produisent, mesurer leur effet bénéfique pour le plus grand nombre, pour les pays en développement et pour la planète.

Pouvons-nous accorder démocratiquement sur le périmètre des biens communs tels que nous le proposons ici ?

Agriculture, produits alimentaires et boissons, industrie pharmaceutique, santé, production et distribution d’énergie, eau et assainissement, gestion des déchets, télécommunications, informatique et services d’information, recherche scientifique et développement technique, enseignement, administration publique et défense, protection sociale, hébergement médico-social et action sociale.

Ce périmètre ayant été délimité, les citoyens n’accepteront pas qu’un petit nombre d’experts et de dirigeants construise en chambre un plan de relance et de changement comme cela avait été fait lors de la grande dépression ou en 1945.

Il faut que dans chaque secteur d’activité des groupes de professionnels, de responsables des secteurs privés et publics, construisent les plans de transition en y associant étroitement les citoyens.

Quels pays dans le monde accepteront de lancer une telle démarche ? Un consensus des plus grands pays est un prérequis, à défaut tout reprendra comme avant jusqu’à la prochaine crise.