Notre cerveau est-il l’ennemi de la planète ?

Dans une vidéo, Sébastien Bohler, ingénieur et spécialiste des neurosciences, explique comment notre cerveau est programmé pour récompenser certains de nos comportements : quand un comportement doit être encouragé, un organe dénommé « striatum » émet vers le système nerveux une molécule, « la dopamine », qui créé une sensation de plaisir. Rien de problématique a priori …

Cliquer pour écouter l’interview de Sébastien Bohler (63 minutes qui en valent la peine)

Le striatum s’est implanté dans le cerveau primitif de l’être humain, avec pour objectif d’encourager les comportements permettant la survie de l’espèce, au nombre de cinq :

  • Manger
  • Se reproduire
  • Acquérir du statut social
  • Limiter ses efforts
  • Trouver de l’information

Lorsque l’homme primitif trouvait de la nourriture, il ne pouvait pas la transporter ni la conserver, dans l’instant il mangeait le plus possible. L’instinct de se reproduire le poussait à acquérir du statut social et séduire les femmes les plus belles et les plus fortes. Pour limiter sa dépense énergétique, il économisait ses efforts. Dans une nature sauvage où les signes visibles étaient rares, il devait consacrer beaucoup de temps à la recherche d’information.

Selon Sébastien Bohler, le fonctionnement du cerveau n’a pas changé, le stratium récompense encore aujourd’hui ces 5 comportements. Pourtant le monde contemporain offre aux humains une nourriture abondante, d’innombrables manières de satisfaire les désirs sexuels, l’accès à l’argent et au statut, le moindre effort que permettent la multitude d’objets, de véhicules, d’outils à notre disposition, et une information surabondante.

Qu’originellement le striatum ait récompensé des comportements pour acquérir des ressources rares se comprend bien. Mais il récompense aujourd’hui des comportements devenus inutiles à l’ère de la surabondance – nourriture, objets, argent, information, … – dont nous bénéficions. Le striatum n’a pas suivi l’évolution allant de l’homme primitif à l’homme moderne. Il favorisait la survie, il encourage maintenant l’obésité, l’obsession du sexe, la déification de l’argent, la paresse, la surinformation.

Notre cerveau est inadapté dans le monde pléthorique qui est le nôtre.

L’homme a un cerveau de primate et la technologie d’un dieu.

Comme le striatum (à moins que ce soit à cause du striatum), la société moderne flatte les comportements addictifs à rebours ce qu’il faudrait, alors que nous consommons chaque année plus de ressources et de richesses que notre planète en produit.

Le phénomène « d’habituation hédonique » (cf la pyramide de Maslow) exige que nous « augmentions les doses » en permanence, d’avoir toujours plus que ce dont nous disposions avant.

Le striatum donne une prime à l’immédiateté, il nous pousse à vouloir tout, et tout de suite : l’homme primitif à satisfaire son désir à l’instant face à une femme, l’homme obèse moderne à se gaver à l’instant où il se trouve en face de nourriture.

Mais le plaisir s’atténue dans l’excès de satisfaction des besoins.

Comment réintroduire une forme de plaisir dans la limitation, dans la sobriété vers laquelle il faut maintenant nous diriger ?

Une bonne éducation enseigne la patience aux enfants. Et les adultes ?

En réduisant les excès, on peut retrouver le gout, la « capacité à savourer » d’Epicure.

Pour y parvenir, ne plus être dans l’urgence, dans l’addiction, développer la pleine conscience de ce que l’on vit, rechercher le plaisir cognitif.

Il y a une barrière, celle de l’effort. On n’arrive plus à se concentrer dix minutes aujourd’hui, plus difficile encore avec l’essor des réseaux de captage de l’attention.

Bon à savoir

10 à 15 mn de concentration sont nécessaires avant que le stratium produise de la dopamine (Sébastien Bohler)

On arrive ainsi à une question existentielle qui peut nous faire craquer : quand on sait que la croissance n’est pas illimitée et que la consommation ne nous a pas fait accéder au bonheur, à quoi bon s’inscrire dans la société telle qu’elle est si tout cela va vers le néant de l’effondrement ?

De plus en plus souvent, des jeunes souvent très diplômés y répondent en quittant leur emploi pour se tourner vers des activités porteuses de sens, en dehors de l’économie mainstream.

Le besoin de déchiffrer le fonctionnement du monde est aussi important que le besoin de trouver une cohérence en soi.

On croyait pouvoir vivre en appuyant sur des boutons. Il nous faut réenchanter le monde pour le rendre intelligible, vivre avec le sens de la communauté, avec des codes et des rituels.

Avec un enjeu qui nous surplombe : préserver la planète.

Jean Bourdariat